Rabbitcoin est le second tableau de la série Proof-of-Work (preuve de travail). Proof-of-Work est une série de tableaux mettant en scène ce concept récursif de calcul par puce informatique mis à l’honneur par le protocole Bitcoin. Les images de la série Proof-of-Work ne sont pas simplement des tableaux digitaux mais des tableaux digitaux ayant eux-mêmes subi un processus de preuve de travail en vue d’atteindre une empreinte cryptographique cible. Si Rabbitcoin évoque principalement le Judaïsme, l’œuvre existe sous un format de NFT. La ménorah[1] à l’arrière du tableau est un symbole de ce mélange: Rabbitcoin réunit le style mosaïque du temps des premières épopées du peuple juif avec le moderne art pixellisé de certaines collections de NFTs[2].
Rabbitcoin est une œuvre digitale représentant une femme rabbin lisant devant les fidèles de la synagogue. Une certaine modernité ressort de ce tableau à travers différents éléments (le fait que le rabbin soit une femme, l’outil électronique qu’elle tient dans la main, ou encore l’ordinateur posé sur les genoux du personnage de droite) mais il n’est pour autant pas très facile de comprendre au premier coup d’œil l’intention de l’artiste.
D’autant plus que le tableau comporte quelques bizarreries comme les lettres occidentales écrites sur le mur ou même la présence d’un lapin déguisé en mineur à l’arrière du tableau. Un personnage donne néanmoins un indice décisif aux initiés : le personnage de type japonais au premier rang est Dorian Nakamoto, un homonyme de l’inventeur inconnu du Bitcoin seulement connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. Dorian Nakamoto est devenu célèbre depuis le jour où s’était propagée la rumeur infondée selon laquelle il était l’authentique créateur de Bitcoin. Comme nous ne connaissons toujours pas l’identité du vrai Satoshi Nakamoto, le visage de Dorian s’est peu à peu imposé comme le visage par défaut utilisé pour personnifier le grand Satoshi.
Dorian Nakamoto et le mineur sont deux références du monde de Bitcoin tandis que les caractères hébreux ou les vêtements religieux pointent clairement en direction du Judaïsme. Ce tableau traite des convergences entre Bitcoin et le Judaïsme.
Tant de similarités entre Bitcoin et le Judaïsme
Le travail : une valeur cardinale
Commençons par le commencement : genèse. La genèse est à la fois le nom du premier livre de la Torah et le nom du premier bloc Bitcoin. Les Juifs et les Bitcoineurs partagent d’ailleurs un profond respect pour les documents originels : la Torah ou les Tables de la Loi pour les Juifs, le « white paper » de Bitcoin (ou les courriers électroniques de Satoshi Nakamoto) pour les bitcoineurs. Ces deux communautés se nourrissent de l’étude et de l’apprentissage : le « Talmud Torah » est l’étude de la Torah prescrite à tous les jeunes Juifs dans la préparation de leur Bar Mitzvah ; les Bitcoineurs, eux, se disent souvent tombés dans « le terrier » ou même « le terrier du lapin » identifié en l’espèce à un puits de connaissances que le Bitcoineur curieux ne peut s’arrêter d’investiguer dans les moindres détails pour comprendre profondément ce qu’est Bitcoin. Il y a donc une certaine logique à ce que le lapin présent dans le fond du tableau ait précisément creusé son terrier dans la bibliothèque, ce lieu emblématique de l’étude et de la connaissance. Rabbitcoin n’est pas seulement la fusion des mots « rabbin » et « bitcoin ». C’est aussi la fusion du lapin chercheur (« rabbit ») avec le monde cryptique du « Bitcoin ».
Ceci étant, les livres de la bibliothèque sont fermés. C’est un contenu disponible mais qui requiert un intérêt actif. Tout est là… mais tout doit être ouvert, étudié. C’est le principe de la Torah : tout est transparent et facile à lire mais il faut un travail supplémentaire pour déchiffrer les messages cachés de la Torah. Des centaines d’années de travail et de sagesse rabbinique nous ont apporté cette plus profonde compréhension des messages de la Torah. Un travail « open source » dans lequel chaque chercheur peut prendre appui sur les travaux du précédent. Du transparent et du caché. C’est ce qui est reflété dans la phrase en anglais (en calligraphie de type hébraïque) sur le mur du fond de Rabbitcoin : « La Torah se révèle et se dissimule », qui est une phrase de la Kabbale. Bitcoin a aussi ces deux faces : une blockchain transparente qui révèle à tous et en permanence l’historique de toutes ses transactions, et la cryptographie qui cache les informations clefs. Sur le mur du fond de la synagogue se cache d’ailleurs une clef, qui peut être comprise comme un symbole de l’intelligence collective nécessaire pour comprendre tous les messages de la Torah. Tandis que les rabbins nous donnent des clefs de compréhension, les Bitcoineurs utilisent des clefs pour signer leurs transactions. Derrière ces clefs se cache un travail. Nos rabbins nous prouvent leur travail sur la Torah à chaque fois qu’ils nous partagent un message-clef de la Torah ; les Bitcoineurs activent un processus de validation par preuve de travail à chaque fois qu’ils signent une transaction de leurs clefs privées. Qui plus est, la preuve de travail sécurise la blockchain de Bitcoin tout comme travailler sur la Torah sécurise pour la génération actuelle la connaissance de la lettre et la compréhension de l’esprit du Judaïsme.
Des réseaux décentralisés
Dans Rabbitcoin, la synagogue est plutôt petite et n’a pas l’air bondée. Les Juifs sont en effet une minorité dans presque tous les pays mais les Juifs se sont installés à peu près partout dans le monde. La diaspora juive peut être interprétée comme un réseau décentralisé d’identité juive qui aurait perduré à travers les siècles en dépit de différentes attaques subies par ce peuple. La capacité de résilience du peuple juif a été renforcée par sa présence internationale. Les pogroms et la Seconde Guerre Mondiale n’ont pas fait disparaître le peuple juif. Tout comme Bitcoin, un système décentralisé qui ne peut pas être stoppé, et ce grâce à la présence de milliers de ses nœuds à travers le monde. Bitcoin et le Judaïsme sont-ils même anti-fragiles ? Ce point est plus équivoque. Mais on a bien vu dans l’Histoire des exemples d’attaques contre le peuple juif qui ont eu pour conséquence principale de renforcer dans ce peuple le sentiment d’appartenance, et donc la persistance de ce peuple. En ce qui concerne Bitcoin, en dépit de toutes les attaques pour le tuer (par réglementation, par attaque de hackers, par ventes massives de tokens, par interdictions de miner…), Bitcoin est toujours debout, narguant fièrement l’hostilité de certains gouverneurs de Banque Centrale, macro-économistes ou gouvernements.
Bitcoin et le Judaïsme valorisent la liberté et la souveraineté individuelle. Car effet, le concept de souveraineté devrait s’appliquer aux individus, sans intermédiaire. Dans l’Histoire, la Souveraineté du Roi, c’est-à-dire l’autorité suprême du Souverain, n’a pas toujours nécessairement été alignée avec l’intérêt du peuple. En matière monétaire, Henri VIII d’Angleterre ou Philippe le Bel sont connus pour avoir réduit le poids en argent et en or des pièces de monnaie, dévalorisant ainsi la valeur en métal détenue par leurs sujets. Ce qui est bon pour le Souverain n’est pas nécessairement bon pour le peuple. Une révolution plus tard, la souveraineté nationale déléguée à l’Etat aligne-t-elle mieux les intérêts du peuple avec ceux de l’Etat ? Rien n’est moins sûr. Plutôt que de chérir une souveraineté collective qui pose le problème de la représentativité, il est temps de promouvoir la souveraineté individuelle.La souveraineté individuelle s’applique individuellement à tous les membres d’un peuple, et par tant, à la nation tout entière. Elle est collective sans exception plutôt que collective par identification à la volonté du Souverain ou de l’Etat. Bitcoin protège par les mathématiques la souveraineté monétaire individuelle de tous les détenteurs de Bitcoin. C’est un système qui ne fait pas confiance a priori aux règles arbitraires d’un directeur de Banque Centrale pouvant préférer protéger, quand ils sont divergents, l’intérêt du sujet Souverain plutôt que les intérêts souverains de ses sujets. Les Juifs ont à plusieurs reprises dans l’histoire dû défendre leur indépendance contre l’autorité oppressive d’un Souverain (de Moïse contre Pharaon aux récentes aliyahs). Cette relative indépendance au souverain est aussi visible dans la façon dont les Juifs et les Bitcoineurs mesurent le temps : ces lignes sont écrites le 25 juillet 2022. Cette date universelle n’est pas celle du calendrier juif (qui indique la date du 26 Tamouz 5782) ou du calendrier Bitcoin qui indique le bloc 746780.
Le Judaïsme est une religion sans clergé officiel : pas de Pape intermédiaire entre Dieu et le Juif de la rue. Cette absence de Clergé en fait une organisation acéphale donc non-décapitable. Tout comme Bitcoin[3]. Le revers de la médaille est que tous les participants de tels systèmes ont autant de pouvoir, ce qui complexifie sa gouvernance. Et ce, d’autant plus pour engager des changements significatifs. Cela peut être une raison pour laquelle Bitcoin et le Judaïsme peuvent être assimilés à des systèmes relativement conservateurs de l’extérieur.
Quand la communauté Bitcoin est divisée en 2 groupes qui ont des visions opposées sur l’avenir du système, cette dispute est résolue dans une bifurcation de la communauté, avec un groupe qui applique les nouvelles règles que le groupe plus conservateur ne veut pas reconnaître. A cet égard, qu’est-ce que le Christianisme si ce n’est une bifurcation du Judaïsme ?
Filiation
Bitcoin n’est pas une religion mais certains de ses défenseurs sont parfois si zélés qu’un étranger pourrait avoir l’impression d’interagir avec des bigots fanatiques. Certains adorateurs de Bitcoin s’autoproclament parfois des évangélistes et chantent fièrement leur foi dans le protocole tandis que des croyants plus silencieux restent cachés derrière la pseudonymie permise par leur crypto-religion. Les Bitcoineurs reconnaîtront certains de leurs Patriarches sur la première rangée du tableau Rabbitcoin: en partant de la gauche, Adam Back, inventeur de Hashcash, le mécanisme de preuve de travail emprunté par Bitcoin; Nick Szabo, créateur de Bitgold, un projet de cryptomonnaie très proche de Bitcoin; Dorian Nakamoto, l’illustre inconnu confondu avec l’inventeur (inconnu) du Bitcoin Satoshi Nakamoto ; Hal Finney, un des premiers contributeurs de Bitcoin et destinataire de la première transaction de bitcoins.
Un autre point commun entre Bitcoin et le Judaïsme est l’absence de prosélytisme. Ce point peut sembler contradictoire avec la présence d’Evangélistes dans la communauté des Bitcoineurs, mais en vérité les Evangélistes auto-proclamés de Bitcoin sont le plus souvent des Convertis de fraîche date, encore illuminés par l’élégance du protocole, ou des marchands du Temple qui tirent profit du développement de Bitcoin en vendant leurs services de change, de portefeuille ou autres. Ceux qu’on nomme les Maximalistes ont pour la plupart arrêté de prêcher la bonne parole et se plaisent souvent à répéter cette sagesse de Satoshi Nakamoto : « si vous ne me croyez pas ou n’avez pas saisi, je n’ai pas le temps d’essayer de vous convaincre, désolé. » Le protocole Bitcoin n’a pas de fondation chargée d’assurer sa promotion (comme c’est le cas pour d’autres blockchains). Pas non plus d’équipe marketing, pas de relations presse, pas de spot TV, pas de publicité dans les journaux, pas de budget Google ad words, pas de force commerciale ni de réseau de distribution.
Cette commune absence de prosélytisme cache néanmoins une grande différence entre Bitcoin et le Judaïsme. Alors que Bitcoin est disponible pour tous, sans présomption de fortune, de culture, de nationalité ou d’origine, le Judaïsme n’est pas aussi ouvert. Il est en effet très difficile, voire impossible de se convertir au Judaïsme sans démontrer une filiation à un membre de la communauté juive. Pour avoir le droit de se marier et fonder une famille juive, un Juif doit démontrer son appartenance au peuple juif en montrant la ketouba de ses parents (i.e. c’est-à-dire leur acte de mariage religieux), les parents ayant eux-mêmes pu se marier en montrant la ketouba de leurs propres parents, et ainsi de suite jusqu’aux ancêtres les plus anciens du peuple juif. Si on pouvait regrouper toutes les ketoubas qui ont jamais existé, nous observerions que les ketoubas sont chaînées entre elles depuis que cette disposition administrative écrite existe. Ce processus est très similaire à la façon dont les bitcoins sont tracés, transaction après transaction, depuis l’apparition de chacun d’entre eux. Ce chaînage s’applique aussi aux blocs de Bitcoin (ces amas de transaction validés par les mineurs toutes les 10 minutes). Ces blocs de Bitcoin s’enchaînent les uns après les autres, chaque génération étant reliée à la précédente. On parle d’ailleurs de bloc parent et de bloc enfant quand on identifie l’ordre chronologique des blocs de la chaîne. Il est intéressant de noter que le chaînage des blocs de Bitcoin suit le même principe que le chaînage des blocs de texte du Sefer Torah (ce rouleau de texte sacré lu toutes les semaines dans les synagogues): pour rendre possible une lecture de la Torah sur un rouleau de papier unique, la Torah est divisée en multiples blocs de texte imprimés les uns à côté des autres et qui se suivent au fur et à mesure qu’on déroule le Sefer Torah. Chaque bloc de texte est lié au précédent par le déroulé logique de l’histoire.
Ki Tissa: une parasha pour Bitcoin
Paiement dans la parasha
La parasha (fragment de la Torah) lue par le rabbin dans Rabbitcoin est Ki Tissa (fragment allant d’Exode 30.11 à Exode 34.35): Ki Tissa est la 21ème parasha de l’année. 21 est le nombre fétiche des Bitcoineurs, Satoshi Nakamoto ayant fixé le nombre maximum de Bitcoins à 21 millions. C’est la première raison symbolique qui explique le choix de Ki Tissa.
Mais Ki Tissa comporte d’autres caractéristiques intéressantes. D’abord, la parasha commence par une discussion où Dieu demande à Moïse de compter les Enfants d’Israël, une première référence aux nombres partagée par Bitcoin. Mais il s’agit non seulement de compter mais aussi de payer. Exode 30.12: « Quand tu feras le dénombrement général des enfants d’Israël, chacun d’eux paiera au Seigneur le rachat de sa personne lors du dénombrement (…)». Exode 30.13 parle même de paiement coordonné avec l’inscription dans un registre de recensement : « Ce tribut, présenté par tous ceux qui seront compris dans le dénombrement sera d’un demi-sicle, selon le poids du sanctuaire; ce dernier est de vingt ghéra, la moitié sera l’offrande réservée au Seigneur ». Un autre élément troublant d’Exode 30.13 vient de Rachi, le célèbre Talmudiste français du XIème siècle. Rachi précise en effet que, alors que Moïse a des difficultés à se représenter à quoi ressemblerait un demi-shekel, Dieu fait apparaître une pièce en feu, ajoutant « Donne comme cela ». Or le logo de Bitcoin est rond et orange, comme une pièce de feu. Par ailleurs, un bitcoin n’est pas une pièce matérielle mais bien, comme le feu, un élément intangible et insaisissable physiquement. Donner comme cela : avec un bitcoin ?
Effacer les informations du livre
Ce que les Bitcoineurs appellent le registre des transactions (ou blockchain) est leur vérité partagée, de même que le Sefer Torah apporte l’histoire partagée ou vérité acceptée du peuple juif. De même qu’il est impossible d’effacer une transaction dans la chaîne Bitcoin, il est impossible d’effacer des promesses dites dans les premières pages du Livre Sacré. Exode 32.12 et 13: (…) Reviens de ton irritation et révoque la calamité qui menace ton peuple. Souviens-toi d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, tes serviteurs, à qui tu as juré par toi-même leur disant : Je ferai votre postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel (…)Mais si cela doit arriver, Moïse demande à Dieu de le retirer du registre sacré, dans Exode 32.32: « et pourtant, si tu voulais pardonner à leur faute !… Sinon efface-moi du livre que tu as écrit ». Seul Dieu tout-puissant est capable d’effectuer des rollbacks de la Torah : le mot Moïse n’apparaît d’ailleurs pas dans la parasha Tetsave (celle qui précède Ki Tissa). Ce changement sur le bloc précédent est difficile mais possible. Pour autant, effacer une promesse à Abraham serait un acte plus controversé, d’autant que cette promesse fut faite longtemps avant et eut des conséquences dans les chapitres ultérieurs de la Genèse et de l’Exode. Comme pour Bitcoin, un rollback, ou rembobinage du Sefer Torah pour le réécrire, n’est pas seulement un défi technique et logique, mais aussi une question morale en ce qu’il s’agit de basculer dans une vérité alternative.
La parasha de l’or et la parasha de la Loi Sacrée
Pourquoi Dieu envisage-t-il de châtier les Juifs ? Parce que Ki Tissa est aussi la parasha du veau d’or, cette idole conçue par le peuple juif apeuré de rester sans nouvelles de Moïse. Ki Tissa est ici la parasha de l’or et des plus bas instincts humains. Mais Ki Tissa est aussi la parasha des Tables de la Loi (exposées au mur du fond dans Rabbitcoin), c’est-à-dire ce qu’il y a de plus sacré et de plus grand. L’or avilissant et la Loi ennoblissante. Cette dualité est aussi présente dans Bitcoin. Bitcoin est en effet à la fois de l’or digital et un protocole ayant ses propres lois. Tandis que Ki Tissa est la parasha du veau d’or, c’est aussi la parasha où Dieu parle et fournit au peuple juif le protocole sacré des Dix Commandements pour un meilleur futur. Le très sacrilège et le très sacré dans la même parasha. De la même façon, Bitcoin étant de l’or digital, son prix en monnaie souveraine peut être l’intérêt principal de ses observateurs les plus avides. Mais Bitcoin est aussi un protocole monétaire qui se veut le substrat d’un monde meilleur puisqu’il est libre, incensurable, sûr, puisqu’il bancarise tous ses utilisateurs et puisqu’il vise à surmonter certains problèmes économiques.
Vers un monde meilleur, plus décentralisé
Le peuple juif mené par Moïse était devenu un système centralisé, lequel s’est effondré moralement en l’absence de son chef. A contrario, le protocole écrit dans les Tables de la Loi permet d’envisager un avenir plus durable, même en l’absence d’autorité centrale. Et un avenir meilleur, ainsi qu’est écrit sur l’ordinateur d’Hal Finney, sur la partie droite de Rabbitcoin : les lettres hébraïques inscrites sur l’ordinateur se lisent Tikoun Olam, ce qui en hébreu signifie « réparer le monde ». A l’origine, Tikoun Olam était un ensemble de promulgations destinées à maintenir l’ordre social. C’était donc un mouvement plutôt orthodoxe qui pouvait notamment avoir pour précepte par l’éradication de l’idôlatrie : se rappeler par exemple la faute de la création du veau d’or. Un bitcoineur armé de ce sage principe veillerait à garantir qu’en permanence son intérêt pour Bitcoin ne soit pas exclusivement guidé par le lucre, mais plus par la conviction qu’un système monétaire Bitcoin serait plus efficace pour lui et pour ses pairs. Plus récemment, un glissement sémantique de Tikoun Olam s’est opéré, si bien que ce principe est aujourd’hui plutôt utilisé pour évoquer une action positive d’amélioration de l’ordre du monde. Les organisations non-gouvernementales juives utilisent souvent ce concept pour exprimer leur volonté de résoudre les problèmes actuels : la faim, la pauvreté, les maladies etc. Cet aspect est aussi présent dans Bitcoin. Les Bitcoineurs les plus convaincus aiment à lister tous les problèmes résolus par Bitcoin de cette devise : « Bitcoin fixes this! » pour « Bitcoin répare cela ! »
La clef de lecture
Des chiffres et des lettres
Au premier plan de Rabbitcoin, la femme rabbin tient une clef Ledger Nano (un portefeuille physique de bitcoins) au lieu de tenir un yad (cette petite baguette décorative utilisée par les rabbins pour suivre le fil de leur lecture du Sefer Torah). Et cette clef de marque Ledger pointe vers le registre de la Torah, et plus précisément vers ce à quoi le lecteur doit rester attentif : le code secret en caractères occidentaux sur calligraphie hébraïque. FOE19OG est un mélange de chiffres et de lettres, comme ce que nous trouvons dans les adresses Bitcoin. Même si ces chiffres et lettres occidentaux dépareillent dans un rouleau de la Torah, ils rappellent le fait que les lettres hébraïques sont aussi utilisées en tant que chiffres. Cette dualité d’utilisation augmente encore d’ailleurs la richesse du document et la quantité d’analyses qui peuvent être faites sur la Torah.
Déchiffrer le code de Rabbitcoin
Maintenant le code. Que peut bien vouloir dire le code « FOE19OG » ? « Foe » est-il le mot anglais signifiant ennemi ? Le code finit-il d’ailleurs par « OG » ou par « 06 » ? « OG » ou « original gangster » est l’acronyme donné aux anciens du monde Bitcoin, ceux qui étaient là au tout début de l’histoire en 2009-10, qu’on pourrait qualifier de gardiens du temple et qui étaient issus du mouvement cypherpunk. Mais « 06 » pourrait complémenter le « 19 » qui le précède pour créer une date. La date du 19 juin est connue par les Bitcoiners comme étant celle de la première attaque d’un ennemi sur la plateforme Mt Gox le 19 juin 2011, qui eut un impact dévastateur sur la confiance des Bitcoineurs. Pour les Juifs, ce pourrait être une référence à un ennemi du peuple juif autrement plus sinistre, et qui finit son existence à l’issue de son procès à Jérusalem au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.
Mais Rabbitcoin n’est pas une œuvre sacrilège et 1906 n’est pas une date. Qui plus est, il n’y a pas de O (« o » majuscule) dans ces caractères mais seulement des 0 (zéro). Les Bitcoineurs y verront ici un hommage à la Base58, un procédé de codage utilisé pour déduire une adresse Bitcoin de sa clef publique. Au contraire de la Base64, la base58 ne contient ni le zéro ni la lettre O majuscule, de sorte de ne pas créer de confusion dans les caractères d’une adresse Bitcoin et de risquer d’envoyer les fonds au mauvais endroit.
F0E1906 est donc composé des chiffres 0, 1, 9 et 6, et des lettres E et F : F, 0, E, 1, 9, 0 et 6 sont tous des chiffres en base hexadécimale. L’hexadécimal est une base de 16 caractères souvent utilisée en informatique et en cryptage en raison de sa capacité à convertir facilement des nombres binaires (16 = 24). L’hexadécimal est notamment utilisé par les fonctions de hachage cryptographique (ou fonctions de création d’empreinte cryptographique), dont celle qui est la plus associée à Bitcoin : la fonction SHA-256. F0E1906 est le début d’un hachage cryptographique. F0E1906 est un code lié à l’élément qui est peut-être le plus important de Rabbitcoin, et un point commun entre Bitcoin, le Judaïsme et le tableau Rabbitcoin lui-même. En effet, F0E1906 est le début de l’empreinte cryptographique en SHA-256 des mots suivants : « Hidden Creator », soit en français « Créateur Caché ».
Un rabbin père de Bitcoin ?
Le visage du rabbin est lui-même caché dans Rabbitcoin. En grec ancien, « caché » se disait « kruptein », qui donna plus tard le préfixe « crypto- », utilisé dans le mot « cryptographie » ou l’art de cacher de l’information. Le nom du tableau, Rabbitcoin, est une fusion entre le mot « rabbi » et le mot « bitcoin », ce qui indique que le rabbin est le personnage principal de ce tableau. Le rabbin est d’ailleurs le personnage le plus grand en taille. Pour autant, le spectateur du tableau ne peut pas voir le visage de ce personnage principal. C’est peut-être dû au fait que nous n’avons pas assez d’informations sur ce rabbin ou dû au fait que le rabbin veut rester caché.
Tous ces indices nous suggèrent qu’il pourrait s’agir de Satoshi lui-même, déguisé en femme, ou plus simplement un homme aux cheveux longs, cachant peut-être même une barbe aux spectateurs. Un homme, qu’en hommage au protocole Bitcoin, le peintre a caché derrière un pseudonyme : « rabbi ». Ou peut-être était-ce le premier pseudonyme de Satoshi Nakamoto ? Rabbitcoin comme une fusion entre un Rabbi et Bitcoin, Rabbitcoin comme un hommage à un Rabbi ayant créé Bitcoin?
Le visage de rabbin manquant à l’œuvre pourrait même être présent, sous forme cachée, dans la blockchain de Bitcoin elle-même, à la transaction 930a2114cdaa86e1fac46d15c74e81c09eee1d4150ff9d48e76cb0697d8e1d72 du bloc 138,725[4].
[1] Le traditionnel chandelier juif à 7 branches
[2] NFT : non-fungible tokens. Jetons digitaux servant d’actes de propriété d’œuvres digitales
[3] Bitcoin, la monnaie acéphale – Adli Takkal Bataille et Jacques Favier, CNRS Editions
[4] Le texte de cette image peut être déduit avec un explorateur Bitcoin: c’est l’assemblage des données des champs “PkScripts” des outputs de la transaction 930a2114cdaa86e1fac46d15c74e81c09eee1d4150ff9d48e76cb0697d8e1d72 converties de l’hexadécimal au ASCII.